Aphrodice Mutangana est un pionnier de la tech à Kigali. Après une expérience entrepreneuriale réussie dans l’agri-tech, il s’est lancé avec 9 autres personnes en 2012 dans la création du premier Open-Space Rwandais.
Le terme a toute son importance. Il ne s’agit pas d’un co-work, mais bien d’un lieu gratuit et ouvert à toutes les personnes de la tech. Il suffit de postuler sur le site internet pour avoir la possibilité d’être intégré au programme. 99% des demandes sont acceptées. L’OpenSpace Klab s’est donné comme mission de fournir un espace de travail ouvert, du monitoring et de l’Internet haut-débit à toutes heures et tous les jours de l’année. Il y a d’un côté Klab qui regroupe les projets de software et cloud. Il y a également, depuis deux ans, Fablab, concentré à aider les entrepreneurs de la hardtech. On y trouve des machines pouvant créer les circuits imprimés et des imprimantes 2D et 3D derniers cris. Au total, la grande famille Klab comprend 2400 membres : 600 mentors, issu du secteur privé ou du monde universitaire, pour 1800 porteurs de projet.
Depuis la création, 200 entreprises ont vu le jour, et ont donc logiquement quitté l’incubateur. 60, d’entre elles, ont déjà atteint leur seuil de rentabilité. Rappelons que 4 d’entre elles sont déjà leaders sur leur marché dans la logistique, la fintech et l’agriculture. Il y a GiraICT, qui démocratise tablettes et smartphones, accessibles aux plus bas revenus grâce au paiement mensuel. Autre fierté du kLab, AC Group, spécialiste du paiement électronique dans les transports, qui a atteint une valorisation de 10 millions de dollars et emploie plus de 100 personnes.
Les initiatives ne manquent au sein de l’incubateur. Plusieurs fois par an, il est organisé des hackatons ; tous les jeudis sont organisés les Klab talks ; prochainement les Wine&Water permettront aux entrepreneurs de prendre la parole pour évoquer leurs succès ou leurs échecs.
Lorsque l’on demande à Aphrodice comment lui est venu l’idée de ce projet. Il explique immédiatement qu’il n’était pas tout seul. Ce sont 9 personnes qui se sont penchés sur les statistiques du pays. Le Rwanda est très jeune avec 50% de la population ayant moins de 20 ans. Il s’agit des “dreamers” comme il nous le rappelle si bien. Il était nécessaire de créer un lieu ouvert pour cette génération.
Klab, le kick starter orienté vers la formation des jeunes
La mission de Klab est évolutive mais toujours plus inclusive. Le dernier projet sur le point de voir le jour et dont Aphrodice semble être peut-être le plus fier, est la School of coding. Il s’agit d’offrir une formation de codage informatique de 6 mois à des jeunes Rwandais de 18 à 30 ans issus des camps de réfugiés du nord du pays. Ces camps furent créés progressivement lors du retour des Rwandais de République Démocratique du Congo. Etablis depuis presque deux décennies, ils disposent en leur sein d’écoles et infrastructures de santé, mais pas nécessairement de perspectives d’emplois pour les jeunes sortis du secondaire. Ce programme est soutenu par l’American Refugee Committee. Le principe est décapant. La première promotion de jeunes recevra une formation intensive de 6 mois. Klab se chargera par la suite de leur trouver un premier stage de validation avec l’objectif de déboucher sur une embauche.
L’orientation sociale de l’incubateur Klab n’est pas récente. Il est organisé également dans 15 districts du pays des compétitions de coding pour les enfants. Pour les 4 à 5 ans, il s’agit d’une rencontre d’1h30 une fois par mois. Les 6 à 8 ans se retrouvent deux fois par mois. Quant aux 9 à 15 ans, ils se retrouvent 3h tous les week-ends pendant 6 mois. Plus de 10 intervenants travaillent sur le projet.
Le dernier projet évoqué par Aphrodice est de fournir une formation gratuite en Cybersécurité. L’idée est d’accompagner pendant 3 ans une promotion de trente jeunes à réaliser 29 certifications de cybersécurité. Le coût d’une telle formation est estimé autour de 28 euros. Pour réussir ce projet, Aphrodice pense qu’en 6 mois les étudiants seront déj très attractifs sur le marché de niche de la cybersécurité. Dès lors, il sera possible à la promotion de rembourser les premiers mois de formation et payer les futures certifications. C’est avec un esprit débrouillard que l’équipe dirigeante de Klab arrive à bouger les lignes dans la tech Rwandaise et anticipe les besoins de demain.
Klab, un écosystème débouchant sur le financement des startups
L’équipe de Klab se charge également d’aider les porteurs de projet à trouver des financements. Il ne s’agit pas de leur mission première, mais le réseau gravitant autour de Klab permet des mises en contact rapides et pertinents. Les besoins de financement des projets restent raisonnables avec des tickets variants entre 20k$ à 200k$.
Pour mettre en valeur les jeunes pousses, Klab a pris l’initiative de créer, dans la veine de « Sharktank » au US et « Dragons’ Den » au UK, une émission de téléréalité demandant aux jeunes entrepreneurs de “pitcher”, présenter leur projet, pour être ensuite questionné et jugé devant un parterre de professionnels locaux et internationaux. L’émission est réalisée tous les trois mois et diffusées à la télévision ou sur une chaine YouTube dédiée. La visibilité créée permet aux jeunes sélectionnés de se financer rapidement.
Concernant le mentoring, la liste des volontaires est disponible sur la plateforme de Klab. Les porteurs de projet pourront alors se rapprocher d’un professionnel de la tech, du business développement ou des affaires légales. Les startups sont toujours accompagnées pour réviser les conditions et termes d’utilisation de leurs solutions et également bien revoir les contrats de financement.
Lorsqu’il s’agit justement d’évoquer le financement du projet Klab, il faut se tourner vers la capacité d’attractivité de ses pionniers. Klab offre ses services aux grandes multinationales étrangères et locales dans la conception, la recherche R&D et le prototypage de solutions tech. L’équipe dirigeante négocie les contrats et fait appel à son pool de mentors pour les aider à répondre aux problématiques. Ce business model permet également de garder les mentors motivés dans le projet d’open-space et de monitoring. Klab est un écosystème vertueux.
Aphrodice, à la tête du fleuron Rwandais de la Tech sociale
Il est essentiel pour l’équipe de Klab de garder le lieu gratuit et ouvert. Le constat d’Aphrodice est simple. Ce sont sûrement les jeunes sans ressource, ayant dû faire face à de fortes contraintes et des problèmes du quotidien, qui seront les plus à même de les résoudre. Il s’est également permis d’évoquer une anecdote de son enfance. Toujours second en primaire, il se rappelle que le premier de la classe n’avait pas pu continuer le secondaire, car sa famille ne pouvait payer les frais de scolarité annuels de 5 000 francs rwandais, soit 5 Euros. Il y aura toujours des jeunes qui ne pourront pas payer alors qu’ils ont des idées et un fort potentiel.
Aphrodice rejette l’idée selon laquelle Kigali est uniquement le lieu pour tester son idée, mais pas pour se développer sur le long-terme. Il rappelle en effet que le Rwanda est 89 fois plus petit que la RDC, mais confirme qu’il s’agit d’une véritable opportunité. L’accélération des startups y est justement beaucoup plus rapide. Être une startup Rwandaise est maintenant une vraie marque de fabrique reconnue dans toute l’Afrique. Sur le plan intérieur, l’ensemble du territoire dispose de la fibre optique, ce qui facilite justement les tests. Sur le plan extérieur, le développement de la compagnie aérienne Rwanda Airlines, la construction du nouvel aéroport international, tout comme la pratique du français et de l’anglais, permet au Rwanda d’être un pont incontournable de la tech entre l’Afrique de l’Est et l’Afrique de Ouest.
Lorsque l’on évoque l’idée selon laquelle il est compliqué de trouver des financements en Afrique pour se développer, sa réponse est claire : “non, il s’agit seulement de la quatrième barrière au développement d’un projet.” Il liste rapidement les clés du succès :
1 – le bon timing : le marché est-il prêt à accepter la solution ? ;
2 – la force de l’équipe : les investisseurs mettent rarement de l’argent pour une idée, mais davantage pour des personnes ;
3 – le Business Plan solide : comment l’entreprise générera-t-elle de l’argent ?
4 – le financement : si les trois premières étapes sont validées, cela n’est en général pas si difficile ;
Enfin, lorsque l’on demande si Aphrodice aurait envie de travailler ailleurs dans le monde, sa réponse est également claire : « non ». Il obtient beaucoup de gratitude dans sa mission. Les résultats sont tangibles très rapidement : “Avec nos programmes, un enfant qui ne savait pas tenir une souris informatique peut être capable en deux mois de créer un programme informatique simple.”