On a tous besoins d’aventures. Lorsque c’est présenté l’opportunité de traverser l’atlantique sur un catamaran de course avec un vieux copain des « Glénans », trouver du temps pour ce projet fut une formalité. Nous mîmes 13 jours pour atteindre le port d’Horta aux Açores depuis la Marina de Saint-François en Guadeloupe, et 6 jours de navigation pour atteindre Cherbourg, après 3 jours de repos sur l’île. Durant les premiers jours de navigation, nous aurons réussi à casser les poulies tribords de notre chariot de grand-voile et le pilote automatique. Nous avions reçu comme recommandation de ne pas utiliser le pilote automatique de secours au-dessus des 11 nœuds de vitesse. Ne pas dépasser cette vitesse par vent fort était quasiment impossible, ce qui nous a amené à barrer de manière constante lors des passages de front. Le cap direct vers Horta lors de notre première traversée était autour de 70-80 degrés, soit Est-Nord-Est.
«
Le dilemme avait été de savoir jusqu’où remonter plein nord. Nous savions que plus nous le faisions plus nous aurions du vent fort par la suite pour nous pousser aux Açores. Au départ les instructions nous avaient été passé d’aller à la longitude 27 nord. Nous n’y trouvions pas de vent. Nous continuâmes encore 24h notre route plein nord jusqu’à la longitude 29, après un second avis positif par téléphone satellite de Jean-François, le propriétaire et notre routeur sur la traversée. Il y avait encore très peu de vent au 29ème Nord. Virer à ce moment-là représentait deux éléments difficiles à intégrer pour moi : où était le vent annoncé depuis 24h et pourquoi s’éloigner maintenant de notre route direct en faisant route aux Sud-Sud-Est (158°). Nous avions cherché du vent pendant 48h, alors partir plein sud me paraissait une hérésie. Cela nous faisait prendre le risque de ne jamais toucher la poche de vent annoncée. Ce fut décidé avec Benjamin. La nuit du 7ème jour se fit encore plein nord au-delà de la 29ème.
Au lendemain de cette décision, nous étions donc au-delà de la longitude 30 Nord. Après les jours sans vent, la brise fut reçue sur le bateau avec joie pour notre 8ème jour de navigation. Nous virions au petit matin plein est (90°) après presque trois jours passés à la barre en direction du nord. Nous avions attendu une légère bascule de vent pour lancer la manœuvre et pouvoir glisser avec bonheur en code 2.5. Nous sortîmes le drone pour l’occasion. Benjamin capta de superbes images. Le plaisir de la glisse toutes voiles dehors fut de courte durée. Les cumulonimbus se firent à chaque instant plus menaçant. En deux heures de temps, le vent avait fraîchi avec une houle consistante de sud-Ouest. Après le génois affalé, nous nous retrouvions rapidement avec deux ris sur la grand-voile et la trinquette comme voile d’avant.
Un peu innocemment et inconsciemment, nous réalisâmes que lors de notre préparation à la marina Saint-François, nous n’avions pas pris le temps d’installer le 3ème et le 4ème ris sur notre grand-voile. En effet, de manière assez peu professionnelle, nous étions partis fort optimiste avec la vision suivante : « on mettra entre 10 et 12 jours pour traverser. On ne devrait pas trouver plus de 30 nœuds de vent, selon la carte – du site Windy. » Benjamin trouva rapidement une solution avec des poulies bloquantes que nous devions accrocher aux œillets de la grand-voile. En revanche, cela obligeait mon équipier à monter sur la bôme à chaque prise de ris. Étant donné que la prise de ces ris se faisaient par vent fort à très fort, la manœuvre était dangereuse.
Nous avons fait route au 110° pendant deux jours complets avec une très bonne vitesse moyenne. Malgré tout, il y avait des risques d’empannages permanents, lors des surfs. Nous n’avions alors pas la possibilité d’utiliser le pilote automatique de secours, car nous allions beaucoup trop vite. Les nuits étaient courtes et éreintantes.
Au deuxième soir, le vent avait encore forci. La barre était vraiment très dure. Nous étions vraiment fâchés avec nos dérives, qui pourtant ont le mérite de pouvoir soulager le système de safran. Elles restèrent une très grande partie du temps relevées pour une « meilleure glisse » au portant. En vérité, Nous avions trop peu d’expériences sur le bateau. Nous sommes en plus issus tous les deux du windsurf alors nos conclusions furent peut-être hâtives sur le sujet. La fatigue et les conditions de vent très fort ne nous ont peut-être pas aidé à nous remettre en question et à tester les meilleures options. En revanche, les dérives restées relevées lors des tempêtes se sont révélées forts utiles. Lorsque nous étions en fuite avec une forte houle et du vent fort, nous descendions vent arrière avec très peu de toile. Sans trop de dérive, l’arrière du bateau chassait lorsque nous étions embarqués en surf dans une vague. Cela nous permettait de sortir plus facilement, lorsque nous étions engagés dans des houles déferlantes de plus de 10 mètres. Ces dérapages nous ont peut-être sauvé. Nous gardions ainsi cette astuce bien présente pour faire face à notre future tempête.
Au coucher du soleil, nous n’arrivions plus à abattre, nous étions arrivés à faire un cap absurde de 140 – 145 degrés (sud-est) alors que nous devions faire cap au 78°. Nous prîmes la décision d’empanner à nouveau plein nord. Nous tenions mieux le bateau par rapport à la houle. Le bord était nettement plus rapprochant. Nous faisions du 45°. Nous confirmions donc cette décision juste à la nuit tombée. Trop occupés à nos manœuvres, nous n’avions pas remarqué à l’horizon un énorme grain, c’est-à-dire une masse nuageuse de basse altitude fortement chargée en pluie. Notre nouveau cap nous menait directement vers cette masse sombre. Le grain fut finalement hyper plaisant. Le vent faiblit fortement. Nous pouvions flotter de nuit cap au 78° sous la pluie et sans voir une ride de vent sur l’eau.
Naviguer sous une pluie ardente est un sentiment étrange et agréable. On se sent sur un coussin d’air avec une sensation de légèreté époustouflante. Cela dure très peu de temps en générale. La force du grain s’estompe d’un coût. Le bateau s’arrête alors. Il faut retrouver son cap initial ou alors en reprendre un nouveau. Ces énormes grains sont souvent un phénomène de transition générant une bascule de vent important.
Dans notre cas, cela annonçait la fin de la tempête. Malgré la pluie, désagréable pour le confort à bord, nous avions un bon cap au 45°. Le vent fut léger cette nuit-là. Nous fîmes fonctionner le pilote auto de secours pour la première fois de façon continue… Un vrai luxe depuis la rupture de notre pilote automatique et les deux jours de tempête.
»
«
Encore une nuit sans voile d’avant, tellement le vent est fort.
Après une journée calme et quelques images avec le drone, nous avons dû prendre deux ris sur la grande voile juste après avoir dîné notre plat de fête, nos conserves de cassoulet. Nous avions alors une houle croisée. La grosse houle d’ouest se faisait rattraper par une houle de sud-ouest cohérente avec la bascule de vent prévue pour le lendemain. Nous faisions route au 35° sachant que le vent du sud le lendemain nous permettrait de repartir à l’est. Rapidement seule sur le pont, je profitais de la demi-lune pour améliorer la lecture de la houle. Encore une fois, il ne nous avait pas été annoncé de gros temps dans les heures à venir. Je me rappelle avoir hésité au bout d’une heure à sortir mon coéquipier de son sommeil de plomb, fatigue et digestion du cassoulet aidant. Je ne l’ai pas fait en pensant à tous ses efforts réalisés lors de la dernière tempête. C’était une stupide pensée de vouloir le préserver alors que nous ne sommes rien au milieu de l’océan sans notre matériel sécurisé. Au bout du deuxième surf à 20 nœuds et avec le bruit étourdissant du carbone frappé par les vagues, Benjamin sortie sa tête de sa couchette. Il venu aux nouvelles. J’ai alors reconnu ne pas avoir de bonnes sensations avec le bateau. Sa remarque fut alors très juste : « Ce qui compte c’est l’après – la prochaine étape ». A deux, la conclusion fut rapide. Nous affalions le Solent pour passer sous trinquette. Avec la houle croisée et un cap toujours plus nord, nous prîmes également la décision d’empanner. Ce fut une très bonne idée. Le bateau tapait moins et notre route était meilleure. Le vent continuant son passage au sud, il nous était possible de faire route direct vers les Açores. Si cette nouvelle était fort réjouissante, nous restions confrontés à des départs au surf non contrôlés. Impossible de rester ainsi toute la nuit. Nous décidâmes de prendre notre troisième ris sous trinquette. Les nuages à l’horizon étaient chaque fois plus menaçants. Pour réduire notre vitesse, nous dévions abattre. Cela déventait notre voile d’avant. A la relofé la trinquette se regonflait, nous repartions alors systématiquement au surf. Nous adoptions donc la technique de l’avant-veille. Sans voile d’avant, nous partions en fuite en vent arrière avec une capacité manœuvrant plus limitée. La diminution de la toile fut efficace. Je pus partir me coucher 2h durant après 40 min de manœuvres réalisées sur mon temps de quart. Il s’agissait donc de 40min d’effort de la part de mon coéquipier sur son temps de repos.
Après une heure et demie de sommeil, il vient me réveiller, il ne tient plu. Je dois prendre le relais. Il part se coucher immédiatement. La situation est tout à fait différente par rapport au moment où je me suis allongé Nous sommes à nouveau en survitesse. La houle de sud-ouest est plus consistante. Je reste au pilote automatique. Celui-ci semble forcer à chaque embardée. Il s’agit de notre pilote de secours. Jean-François, le propriétaire et accessoirement notre routeur pour la traversée, nous a conseillé par téléphone satellite de ne pas l’utiliser au-delà d’une vitesse de 11 nœuds. Deuxième vague, le bateau part à 16 nœuds. Benjamin avait eu le temps de me préciser qu’il avait optimisé le cap du pilote pour faire route direct sur les Açores. La Troisième vague nous fait passer au-delà des 20 nœuds. Je reprends la barre un peu à contre cœur, car on ne se sait jamais quand on va pouvoir la relâcher. Je compare les caps par rapport à la houle et à notre vitesse. En lofant un peu, nous réussissons à sortir plus régulièrement de la vague avant le surf incontrôlé, et cela sans rendre le bateau trop ardent. Décision prise, ce sera cap au 82°. Cela fonctionne un peu, mais nous devons penser à l’après. Le vent continue à augmenter. Comme je le fais depuis le début de la transat. J’expose le problème à Benjamin. Nous discutons des options et je laisse décider. De manière tacite, lui seul se présente au pied de mât la nuit pour les diminutions de grand-voile. Pour les ris 3 et 4, il est en plus nécessaire de monter au bout de la bôme pour installer les bordures. Ce sont à chaque fois des prises de risque importantes. Nous sommes bien sur un bateau de course d’amateur, une formula 1 des mers construite et bricolée dans une étable à vache en Normandie, il y a 10 ans. Dès lors, monter sur la bôme en plein milieu de l’Atlantique est normal pour Benjamin. Il s’adapte au bateau avant tout. Ne souhaitant pas le voir à nouveau monter en pleine tempête, je lui rappelle que nous avions bien bridé le bateau en bordant la grande voile dans l’axe du vent. Nous pouvons brider la puissance de la Grand-voile en la plaçant dans l’axe du vent. C’est risqué, car nous diminuons notre manœuvrabilité. En cas d’embardées fortes, nous augmentons les chances de coucher le bateau. L’option se révèle très efficace. Il est bridé donc moins enclin à se lancer dans les pentes de 10 mètres. Nous diminuons également les dérives nous assurant ainsi plus de dérapages lors de survitesses. Cela freine le bateau et permet d’éviter d’être embarquer en surf. Cela nous permet de nous assurer 40 min de relative sérénité. Trop peu pour être tranquille. Nous terminons la nuit sous ris 4. Nous sommes encore en fuite. Par chance, la fuite directe se révèle être exactement le cap que nous devons réaliser pour aller aux Açores. J’attends l’aube à 4h38. Mon coéquipier dort. Je reste à scruter nos pointes de vitesse au surf, les degrés de dérapage à chaque embardée et l’horizon. Encore une fois, nous n’avons pas été épargné. Nous savions que nous aurions du vent du sud ce lundi. Sur windy, semble-t-il, il était indiqué 10 nœuds à midi. Je regrette de ne pas avoir le Bulletin de Météo Spéciale précis et intelligible de Météo France. On ne nous avait pas prévenu qu’un coup de vent serait encore de la partie. Peu importe. A bord, chacun a sa place, nous sommes très soudés dans l’effort. Alfredo, le surnom que nous avons donné à notre pilote de secours, nous aide bien.
Je suis trempé. Il fait doucement jour. Je résiste à l’appel de la couchette pour que mon équipier puisse se reposer davantage. De toute manière, dans les conditions actuelles de la mer, je devrais me coucher avec mes bottes, ma brassière et ma veste de quart. Pas envie de mouiller ma couchette. Je préfère tenir et avoir le privilège de rentrer sec dans un sac de couchage. Même si le prix est une nuit blanche. Je me fais donc un café, une petite banane avec du beurre de cacahuète dessus. Petit déjeuner identique depuis 4 jours. J’irais bien aux toilettes. Mais Benjamin les a bouchés avant hier matin. Hier, j’y suis déjà allé de bon cœur entre les deux coques. Mais aujourd’hui il pleut et il y a tempête. Je suis coincé. On attendra donc la fin de l’avis de grand frais. Ça sent la catastrophe et pourtant j’ai envie d’éclater de rires. Les situations incongrues s’accumulent. Mais on glisse au-dessus de l’eau avec un bateau très fiable ; j’ai une énorme confiance en Benjamin. Il y a ce besoin impétueux de se sentir vivre. Le café est quelque peu amélioré avec toujours plus de poudres : poudre expresso, poudre de cacao, lait écrémé en poudre et miel. Comme dit Benjamin, je dois aller parachuter les congolais. Le vent est toujours plus fort. Il est encore un peu plus de travers. Avant de profiter de mon café, il a le dilemme d’abattre pour éviter les rafales violentes latérales mais alors reprendre le risque de partir en surf. Il faut abattre. La houle d’ouest a un peu diminué. On doit ménager Alfredo. Je suis transi de froid. Il est 5h34. Nous sommes encore à 224 miles nautiques de Horta à 9 nœuds sous ris 4 de grand-voile. Par mesure de sécurité, je vais m’allonger. Mais cela sera encore tout habillé.
»